La décision rendue contre Caster Semenya est erronée

23 septembre 2020

Paul Melia, président-directeur général du CCES

La semaine dernière, un tribunal fédéral suisse a déterminé que la décision du Tribunal arbitral du sport (TAS) confirmant la nécessité de la politique de World Athletics sur les athlètes ayant une différence du développement sexuel (DDS) pour assurer l’équité des compétitions dans le sport féminin n’est pas contraire à l’ordre public. La décision du TAS est ainsi demeurée en vigueur. Je crois fermement que la décision du TAS est erronée, car elle repose sur un faux dilemme entre l’équité et l’inclusion, et je suis déconcerté et déçu par le jugement rendu par le tribunal suisse.

La décision rendue par le TAS repose sur la conception dépassée voulant que le sexe et le genre soient des concepts identiques s’inscrivant dans un système binaire, et que les niveaux élevés de testostérone présents naturellement chez certaines athlètes féminines leur confèrent un avantage injuste, dans une tout autre mesure que les autres avantages naturels que possèdent les athlètes de haut niveau. On constate que le monde du sport n’arrive pas à se défaire de ses idées préconçues sur le caractère binaire du sexe – les athlètes sont soit des hommes soit des femmes – et il a choisi la testostérone comme facteur déterminant l’appartenance à l’une des deux catégories.

Or, nous comprenons maintenant que le sexe et le genre sont deux concepts distincts. L’identité de genre est l’une des façons par lesquelles une personne exprime qui elle est. Elle peut se considérer un homme, une femme, une combinaison des deux ou ni l’un ni l’autre. C’est un concept délicat.

L’athlète la plus connue touchée par cette décision est la Sud-Africaine Caster Semenya, championne olympique et championne du monde de demi-fond. Mme Semenya est une femme, s’est toujours considéré une femme et refuse de prendre des médicaments pour abaisser son taux naturellement élevé de testostérone qui, selon World Athletics, devrait être contrôlé. Elle a déjà pris des médicaments pour abaisser sa testostérone, mais a décidé d’arrêter en raison de leurs effets secondaires. À la place, elle a choisi decontester les règlements applicables aux athlètes féminines ayant une DDS. Selon ces nouveaux règlements, elle ne pourra défendre ses titres si elle refuse de prendre des médicaments.

Je ne peux qu’imaginer la confusion et l’embarras que je ressentirais si un tribunal international m’empêchait d’être que je suis. Depuis plus de dix ans, on essaie de contrôler le sexe et le genre de Mme Semenya en lui répétant qu’elle n’est pas une femme et qu’il est injuste qu’elle concoure dans les épreuves féminines. Elle a été spécialement visée par World Athletics pour un contrôle de féminité parce que son apparence ne correspond pas aux critères normatifs de la féminité et, si je peux me permettre, parce qu’elle court vite.

Les lois provinciales et territoriales du Canada interdisent la discrimination fondée sur l’identité de genre. C’est pourquoi j’estime que si une athlète canadienne avait porté la décision du TAS devant un tribunal canadien, celui-ci aurait rendu une conclusion différente de celle du tribunal suisse.  

Je crois qu’il est temps pour la communauté sportive de réexaminer son approche de la catégorisation dans le sport. Le fait d’ignorer la grande diversité des expériences humaines sur le plan du sexe biologique et de l’identité de genre peut mener au non-respect des droits des personnes qui ne répondent pas à la conception biologique désuète de ce qu’est une femme. Il est inacceptable d’invoquer l’équité pour justifier le préjudice qui s’ensuit.